ACIREPh

La guerre des Programmes, 1975-2005

Documents rassemblés par S. Cospérec

Lettre ouverte de l’ACIREPh

à Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale

 

L’adoption définitive des nouveaux programmes de philosophie des séries générales à la rentrée 2001 crée pour la communauté des professeurs de philosophie une situation inédite et complexe.

En effet, à l’issue de la consultation organisée il y a 6 mois et au vu des critiques et des inquiétudes qui s’y sont exprimées, vous avez demandé des modifications au texte initialement publié au B.O. du 31 août 2000. Le Groupe d’Experts [GE] qui a pris le relais de l’ancien GTD et qui comprend désormais un Inspecteur Général (Jean-Yves Chateau) et un IPR (André Simha) a revu le texte dans un double sens : préserver les intentions initiales de la réforme, répondre aux critiques exprimées par les collègues. Le texte négocié au sein de ce GE et que vous venez d’entériner manifeste clairement une volonté de compromis.

 

Un programme, deux logiques

Les modifications introduites (voir l’encadré au verso) sont de nature à rassurer ceux qui avaient des inquiétudes sur le respect de la liberté philosophique et pédagogique des professeurs de philosophie ; ces mêmes modifications décevront sans doute ceux qui, comme nous, attendaient de la réforme plus d’audace parce qu’ils sont convaincus que la démocratisation de l’enseignement de la philosophie passe par un contrat clair et explicite avec les élèves sur ce qu’ils doivent savoir et savoir faire.

Mais, maintenant, deux logiques traversent ces programmes qui reflètent ainsi les contradictions qui existent au sein de notre profession. D’un côté demeurent des innovations intéressantes qui tendent à une meilleure détermination des notions, à des prescriptions relatives à l’apprentissage des élèves et à la constitution d’une culture commune. De l’autre côté, apparaît le risque qu’à très court terme, les notions soient traitées isolément et que les questions d’approfondissement deviennent des appendices facultatifs. Le danger est grand que ces programmes donnent lieu à des mises en œuvre diverses voire opposées, avec tous les effets négatifs pour les élèves qui ainsi pourraient perdre le bénéfice d’un socle commun. Par ailleurs, la suppression de la règle de formation des sujets de baccalauréat laisse entier le problème de l’adéquation entre le travail de l’année et les épreuves d’examen.

 

Expérimenter le programme pour avancer ensemble

Mais revenir en arrière et défaire une nouvelle fois ce qui a été fait serait, pour notre profession, la pire des choses. Et nous estimons particulièrement irresponsables les appels au boycott ou au dépeçage du programme qui ne peuvent qu’enfoncer notre enseignement dans la crise. Nous ne pensons pas non plus que la solution puisse venir d’un énième groupe d’experts ou d’un projet de plus. Seule la réflexion commune des professeurs de philosophie à partir de l’expérimentation des possibilités ouvertes par les nouveaux programmes peut désormais nous permettre d’avancer. Comme toute règle, un programme ne vaut que par la manière dont il est mis en œuvre : c’est l’application de ce programme qui décidera de son sens.

 

L’importance décisive des mesures d’accompagnement

C’est dire l’importance toute particulière des mesures d’accompagnement que vous déciderez. La mise en place exceptionnelle d’une Commission nationale de suivi des programmes peut constituer une mesure positive, mais à trois conditions :

- que soit clarifié le statut de cette commission vis à vis du G.E. et de l’Inspection (qui devra en être partie prenante) ;

- qu’elle soit réellement pluraliste et reflète la diversité effective des conceptions et des pratiques pédagogiques qui existent au sein de notre profession ;

- que lui soit donnés les moyens de solliciter directement l’ensemble des collègues pour des réunions de travail au niveau local et académique, avec la perspective, à terme, de rencontres nationales qui feraient le bilan de la mise en œuvre du programme. Les professeurs de philosophie pourraient ainsi se rencontrer, se concerter, en vue d’expérimenter les programmes et d’en tester les diverses dispositions. Au bout de 4 années (délai en deçà duquel aucune modification n’est réglementairement possible) seraient effectués les rectifications et les changements nécessaires, à partir cette fois des pratiques du terrain et par les professeurs eux-mêmes.


Par ailleurs, nous renouvelons avec force notre demande que soit publié chaque année un Rapport de correction du baccalauréat. Établi à partir du travail des commissions d’entente et d’harmonisation, il éclairerait les décisions des commissions de choix de sujet et contribuerait à ce que la notation au bac soit plus équitable et corresponde mieux au travail de l’année.


Enfin, en ce qui concerne les programmes des séries technologiques, le pire serait la précipitation. Il faut que votre ministère donne le temps et les moyens au Groupe d’Experts de consulter le plus largement possible les professeurs de philosophie. Cette consultation ne doit pas se faire sur un projet entièrement arrêté car elle prend inévitablement dans ce cas la forme désastreuse d’un plébiscite. Elle doit offrir des options et susciter l’émergence de propositions nouvelles ; c’est la condition d’une implication effective des professeurs de philosophie dans l’élaboration de ces nouveaux programmes.

 

Le C.A. de l’ACIREPH, le 8 juin 2001.