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Résolution sur la réforme du baccalauréat et du lycée

Résolution votée en assemblée générale le 17 mars 2018

samedi 17 mars 2018, par Acireph

L’ACIREPh a pris connaissance :

 de la réforme du baccalauréat et du lycée présentée par le ministre M. Blanquer le 14/02/2018 ;
 de l’absence, annoncée simultanément, de toute transformation de la structure des enseignements en séries technologiques ;
 du rapport sur la voie professionnelle remis au ministre le 22/02/2018.

Une occasion manquée

Après avoir été auditionnée par la mission présidée par M. Mathiot, l’ACIREPh avait formulé des propositions ambitieuses pour démocratiser l’enseignement de la philosophie au lycée. Saisissant l’opportunité de ce projet de réforme, il nous avait semblé nécessaire et urgent de prendre clairement position pour un cursus progressif et cohérent de philosophie à destination de tous les lycéens, futurs citoyens amenés à prendre part à la vie démocratique de leur pays, à débattre et à voter.

L’horaire de 4 heures allouées à la philosophie dans le tronc commun en Terminale donne satisfaction aux demandes de l’ACIREPh et de l’ensemble des associations de professeurs de philosophie.

Pourtant, force est de reconnaître que l’occasion est manquée. La réforme annoncée par le ministre signe le triomphe d’une vision étriquée de la philosophie au lycée. Son enfermement dans la classe de Terminale est réaffirmé, alors que la nécessité de l’en sortir, pour y former progressivement tous les élèves de la Seconde à la Terminale, est établie depuis près de 30 ans avec le rapport Derrida-Bouveresse, et demandée sans relâche par l’ACIREPh depuis sa création. Découvrir en une seule année une discipline évaluée au bout de quelques mois dans le cadre d’un examen national, c’est créer toutes les conditions pour que l’enseignement de la philosophie se trouve pris dans des contradictions inextricables, que connaissent tous les professeurs de philosophie et leurs élèves en Terminale.

Un enseignement de spécialité mal pensé

La spécialité « Humanités, littérature et philosophie » est intéressante en ceci qu’elle ouvre la voie vers un enseignement de philosophie en amont de la Terminale, bien que celui-ci ne soit qu’optionnel.

Cette spécialité est malheureusement la seule qui propose aux futurs lycéens d’approfondir leur formation en philosophie. Ce choix entretient une image trompeuse de la philosophie comme discipline littéraire (ce que faisait déjà son horaire en Terminale littéraire), alors qu’elle ne l’est pas spécialement ni par ses démarches, ni par ses contenus. L’absence de spécialités proposant la philosophie en lien avec les sciences et les sciences humaines est d’autant plus incompréhensible que la philosophie contemporaine est impliquée dans la réflexion sur les sciences (philosophie de la connaissance, philosophie de la technique, histoire des sciences et épistémologie, mais aussi éthique médicale, informatique, éthique animale et de l’environnement, etc.) et dans les sciences humaines et sociales (épistémologie, philosophie du droit, philosophie économique, politique, etc.).

Il est clair que dans cette configuration d’une seule spécialité incluant la philosophie en Première, ce nouvel enseignement de philosophie ne concernera que très peu d’élèves. L’ACIREPh le déplore et s’inquiète de la répartition des horaires de cette spécialité entre les disciplines : le cadrage doit être national et non pas laissé à la concurrence entre les collègues au sein de chaque établissement. Le cadrage devra aussi veiller à la répartition équilibrée des horaires de philosophie entre la classe de Première et celle de Terminale. L’éventualité d’une seule heure de philosophie en Première condamnerait la spécialité faute d’un temps suffisant de découverte et par le cumul excessif d’heures de philosophie en Terminale, les heures de spécialité s’ajoutant à celles du tronc commun.

Une épreuve universelle qui reconduit les hiérarchies traditionnelles en laissant de côté 50% des lycéens

Le statut d’épreuve universelle du baccalauréat apparaît largement comme un leurre.
La réforme du lycée présentée par M. Blanquer, ne s’intéressant qu’à la voie dite « générale », reconduit une situation injuste et pédagogiquement insensée : car en ne changeant rien à la voie technologique, les élèves de ces séries n’auront droit qu’à 2 heures de philosophie par semaine en Terminale – et des épreuves aussi exigeantes que leurs camarades de la voie générale !

De quelle universalité parle-t-on, quand près de 20 % des bacheliers – ceux des séries technologiques – ne conserveront qu’un enseignement de philosophie tout à fait marginal, alors qu’ils auraient justement besoin d’une formation plus solide pour affermir leurs capacités réflexives et langagières ? De quelle universalité parle-t-on, quand, dans le même temps, le rapport sur la voie professionnelle ne dit pas un mot sur l’enseignement de la philosophie pour ces jeunes qui représentent près de 30 % des bacheliers ? Si la philosophie est indispensable à la formation de l’homme et du citoyen, va-t-on encore longtemps considérer les lycéens de la voie professionnelle comme des sous-citoyens et des hommes de second rang ? Pourtant, les expérimentations menées depuis 20 ans dans les lycées professionnels prouvent qu’un enseignement de la philosophie est possible et souhaitable pour ces élèves, moyennant des ouvertures de postes en nombre suffisant, ainsi qu’une pédagogie et des modalités d’évaluation adaptées.

Opposée à cette organisation du système éducatif qui reproduit les hiérarchies sociales et traite inégalement les individus, l’ACIREPh affirme que notre démocratie exige le droit à l’éducation et à la réflexion critique pour toutes et tous, et demande donc l’égalité de traitement pour tous les jeunes.

L’ACIREPh tient à réaffirmer que la philosophie est fondamentale pour la formation des citoyens de demain, qu’elle relève de la culture commune ou de ce qu’on appelle aussi la formation générale de l’homme et du citoyen : à savoir, le développement de la réflexion, de l’ouverture d’esprit, du jugement critique. Nous soulignons la nécessité d’un horaire commun pour cette formation commune de la Seconde à la Terminale, qui donne du temps aux élèves pour découvrir et maîtriser progressivement des éléments substantiels d’une démarche et d’une culture philosophiques. Des heures en classe dédoublée doivent être rétablies nationalement, en particulier dans les séries technologiques, afin de permettre une pluralité d’approches pédagogiques et un meilleur suivi individuel des élèves.

EMC, Humanités scientifiques et numériques

L’Enseignement Moral et Civique (EMC) étant maintenu pour tous les lycéens, l’ACIREPh demande qu’il soit effectué, d’après un cadrage national, en classes dédoublées, c’est-à-dire en effectifs réduits. Les professeurs de philosophie doivent être davantage associés à cet enseignement, dont aucune discipline ne saurait revendiquer le monopole.

L’ACIREPh demande également que les professeurs de philosophie prennent part au nouvel enseignement intitulé « Humanités scientifiques et numériques », dans la mesure où celui-ci implique, comme l’EMC, une démarche philosophique, des analyses critiques et des débats argumentés sur les évolutions technologiques et les questions éthiques qu’elles soulèvent.

Une économie générale de la réforme du lycée contestable et socialement injuste

Quant aux contours plus généraux de cette réforme, l’ACIREPh exprime son opposition à une orientation trop précoce, quand il semble naturel d’offrir à notre jeunesse une formation aussi générale que possible aussi longtemps que possible. Le lycée n’a pas pour vocation de former des spécialistes, ni d’adapter les lycéens aux exigences du marché du travail, mais bien de former des citoyens éclairés, capables de prendre des décisions et d’exprimer des points de vue argumentés. Telle est la condition d’une véritable démocratie. Avoir le droit de choisir son orientation, ses études et sa vie, suppose de recevoir une solide formation générale, une culture commune qui donne réellement aux lycéens les moyens de l’hésitation et de la recherche de leur propre voie. Les inciter si précocement à se spécialiser revient à accentuer la pression déjà existante, qui pousse les élèves dès la classe de Seconde, alors qu’ils n’ont que 15 ans, à décider de leur avenir. Cela n’est ni réaliste, ni raisonnable, ni souhaitable.

Concernant la nouvelle organisation du baccalauréat, l’ACIREPh proteste contre une année de Terminale ponctuée à ce point d’évaluations, depuis le mois de décembre jusqu’au mois de mai. Les élèves risquent fort de passer leur année à bachoter, alors que c’est l’objectif exactement contraire qui était théoriquement visé par cette réforme. Aucune solution digne de ce nom n’est envisagée pour conjurer l’absentéisme qui se produira inévitablement une fois passés les contrôles en cours de formation, et qui affaiblira donc les apprentissages des lycéens et la qualité de leur formation à l’entrée dans l’enseignement supérieur. En outre, l’organisation de ces épreuves tout au long de l’année étant de la responsabilité des établissements eux-mêmes, elle alourdira la charge de travail des enseignants, au détriment de leurs cours et du suivi de leurs élèves, sur une période finalement plus longue que l’actuelle moitié du mois de juin consacrée au baccalauréat. L’ACIREPh demande que l’anonymat des copies des épreuves communes organisées en cours d’année scolaire soit garanti par des correcteurs systématiquement extérieurs à l’établissement des candidats.

Il est fortement à craindre que les considérations gestionnaires l’emportent dans la mise en œuvre de la réforme, aucune garantie n’ayant été donnée quant aux modalités de regroupement des élèves et la limitation des effectifs de classe. La nouvelle organisation en supprimant le « groupe-classe » conduira très vraisemblablement à rassembler les élèves dans les modules de tronc commun sans tenir compte des spécificités de leur parcours et des approches pédagogiques diverses qu’ils impliquent. L’ACIREPh dénonce par avance une logique qui, en donnant la priorité à l’économie sur la pédagogie et la justice, hypothéquerait les chances de progression et de réussite du plus grand nombre, et en particulier des élèves les plus en difficulté.

Vers des assises nationales de la philosophie

Dans ces conditions, l’ACIREPh invite toute la profession à s’emparer de l’enjeu majeur du nouveau programme et de nouvelles épreuves du baccalauréat, en particulier en séries technologiques. Elle engage tous les professeurs de philosophie à participer aux Assises Nationales de l’enseignement de la philosophie qui auront lieu à la mi-juin 2018. Il est urgent que l’ensemble des acteurs et des citoyens que l’enseignement de la philosophie intéresse, à un titre ou à un autre, s’associent et réfléchissent pour faire émerger des propositions communes pour l’avenir de la philosophie au lycée.